Retour sur le Conseil des Ministres – Focus sur certaines Décisions et faits marquants

Date de publication : 12 mai 2023

Les bonnes nouvelles : Aiguillat et Raie Brunette en Manche

Les augmentations des possibilités de pêche concernant l’aiguillat et la raie brunette en Manche constituent assurément les principales bonnes nouvelles obtenues dans le cadre de la fixation des possibilités de pêche pour 2023. Ces relèvements significatifs des possibilités de pêche ne sont pas le fruit de décisions politiques, désormais rendues presque impossibles au regard du format de la négociation des TACs. Au contraire, ils découlent d’une amélioration de la fiabilité du diagnostic scientifique, permettant d’évaluer avec une meilleure précision et de manière absolue les effets des prélèvements sur ces stocks.

 

Aiguillat

Pour rappel, l’aiguillat avait été interdit en 2009. Les captures réalisées depuis cette date devaient donc être rejetées avec pour conséquence une perte d’information sur le niveau des prélèvements. Si les scientifiques avaient bien constaté lors de l’évaluation de 2020 une reconstitution en cours de la ressource depuis le point bas observé en 2005, ils estimaient pour autant qu’aucune pêche ciblée ne devait être autorisée afin de per- mettre sa totale récupération (Fig. 1).

Au gré de très importants efforts d’intégration de données, les scientifiques sont parvenus en 2021 à améliorer de manière substantielle leur connaissance sur ce stock, en même temps que leur confiance dans leurs prédictions des recommandations de captures. De même, une nouvelle méthode a été utilisée pour définir les objectifs de gestion biologiques (Fig.2). En application de ces nouvelles expertises, il est apparu que ce stock était pleinement reconstitué, et que des possibilités de pêche significatives pouvaient être autorisées pour ce stock, tout en le maintenant dans une zone de sécurité.

Ces estimations viennent enfin confirmer les observations de terrain observées par les professionnels.

Raie brunette

Pour la raie brunette en Manche, là encore, les scientifiques confirmaient en 2020 déjà les augmentations de biomasse observées en mer sur la période récente (Fig. 3).

Toutefois, c’est l’application d’une doctrine relevant de l’approche de précaution, intégrant des rejets a priori, qui conduisait à la fixation d’un TAC dérisoire.

Pour ce stock aussi, c’est la réalisation récente d’un atelier spécifique portant sur la procédure d’évaluation qui a modifié la perception scientifique. Au gré de cette compilation de nouvelles informations, il est désormais estimé que ce stock se situe assez largement au-delà des points de référence de conservation (Fig. 4), et que la fixation d’un TAC à des niveaux durables mais significatifs n’entraineraient pas de rejets. C’est la certitude que les niveaux de captures autorisés et réalisés ne mettent pas en péril ce stock qui aura permis la hausse significative du TAC pour 2023.

Si l’issue du conseil des Ministres 2022 a été favorable en zone VII, la situation reste malheureusement compliquée en zone VIII.

La (pire) mauvaise nouvelle :

Les Chinchards

Dans le cas du stock de chinchard commun, la perception scientifique n’est pas très favorable, avec un stock qui semble se maintenir à un niveau très dégradé depuis une vingtaine d’année (Fig. 5). Alors que les niveaux de TAC fixés ont majoritairement suivi les recommandations scientifiques depuis 2005, l’état de ce stock ne s’améliore pas principalement du fait de recrutements très faibles sur la période récente.

Pour autant, pour bien comprendre la situation et mettre en perspective les actuelles et futures mesures de gestion, il convient tout à la fois de zoomer sur la période récente, et de reprendre l’historique des évaluations de ce stock (Fig 6). Les différentes courbes représentent les évolutions de biomasse telles qu’estimées durant les 5 dernières évaluations. Il apparait clairement qu’au gré de chaque nouvelle évaluation, les scientifiques estiment que la biomasse est moins importante qu’ils ne l’avaient estimé l’année précédente, tendant ainsi à l’éloigner davantage des objectifs de gestion. C’est pour cela qu’en 2022 et pour la première fois, le CIEM a recommandé un TAC 0, puisqu’aucun scénario ne permettait la reconstitution de ce stock à court terme ; et ce, malgré une biomasse en augmentation depuis 2017, alors que des TACs compris entre 70 000 et 135 000T ont été établis sur cette période. Malgré les mauvais récents recrutements, la perception scientifique de ce stock est qu’il n’est donc pas condamné. En termes de gestion, c’est la vitesse de récupération qui gouvernera les futures prises de décisions, et les efforts à consentir. A n’en pas douter, la diminution du TAC de manière aussi drastique (-78%) est pour partie le fruit du manque de fiabilité de l’évaluation scientifique, en plus de traduire une priorité politique absolue accordée à la ressource plutôt qu’aux équilibres socio-économiques des flottilles.

Enseignements et perspectives :

Ces exemples marquants ne sont pas isolés, et rejoignent ce que nous constatons depuis plusieurs années. Au gré de la montée en puissance de l’approche de précaution, il ne suffit plus que les scientifiques démontrent que le stock va mieux pour que les possibilités de pêche augmentent. Les décideurs politiques semblent également totalement inféodés aux recommandations chiffrées du CIEM, alors que certains éléments tendanciels pourraient leur permettre d’étayer des stratégies et revendications tenant davantage compte des éléments socio-économiques.

Ces constats faits, il faut d’un côté déplorer le fait qu’une bonne partie de notre avenir dépend non seulement des évolutions naturelles de la ressource et du contexte politique, mais aussi de plus en plus de la capacité des Instituts Scientifiques à s’investir dans la recherche opérationnelle autour des évaluations de stocks. De l’autre, il faut apprécier à sa juste valeur que des espèces sensibles soient revenues dans le giron des espèces véritablement exploitables, alors que l’on n’y croyait plus. Dans ce contexte, plus que jamais, l’expertise halieutique joue un rôle prépondérant pour le futur de notre filière.