La parole à Ludovic Le Roux, nouveau président de Les Pêcheurs de Bretagne

Date de publication : 28 septembre 2023

Gérant de l’armement Celejeanne basé à La Turballe (Loire-Atlantique), Ludovic Le Roux a pris en juillet 2023 la présidence de l’organisation de producteurs (OP) Les Pêcheurs de Bretagne. Siégeant depuis 2007 au sein de la commission des espèces pélagiques du golfe de Gascogne au Comité national des pêches maritimes et des élevages marins (CNPMEM), ce patron pêcheur de 52 ans remplace Soazig Le Gall Palmer, jeune retraitée de l’Armement bigouden au Guilvinec (Finistère), qui passe le relais après un mandat de six années. Entretien.

 

Quel est ton parcours ?

 

Fils de marin pêcheur, on peut dire que je suis tombé dans la marmite déjà tout petit. Le métier s’est imposé à moi naturellement, comme une évidence. J’ai embarqué pour la première fois dès l’âge de 15 ans au début des années 1990. J’ai rapidement pris la barre de mon navire, avant de devenir armateur à la suite de mon père. J’ai ainsi développé une entreprise de pêche artisanale avec une paire de chalutiers pélagiques le Cintharth et le Marilude II. Au-delà des difficultés rencontrées par la profession, on a subi l’an dernier deux mauvaises fortunes. Un incendie sur le Marilude II lors d’une opération d’entretien à sec puis le naufrage du Cintharth suite à une voie d’eau. Seul le premier navire a pu être sauvé.

 

Comment travailles-tu ?

 

Je suis reparti depuis quelques mois avec le Marilude II. On travaille par paire avec le chalutier turballais Aquilon sur différentes espèces pélagiques comme la sardine, le thon et l’anchois. On cible aussi le merlu et les céphalopodes. Depuis mes débuts, il est assez évident que notre activité fait face à des entraves toujours plus nombreuses, des restrictions toujours plus fortes. Une première flambée des cours du gasoil ainsi que la fermeture de pêcheries comme l’anchois avaient déjà fragilisé nos modèles d’exploitation avant 2010. C’est depuis lors une surenchère perpétuelle malgré les efforts auxquels nous sommes astreints. C’est ainsi que pour le bar, nous avons été également punis alors que nous avions proposé un plan de gestion. Petit à petit, on nous retire toute initiative et toute marge de manœuvre.

 

Pourquoi avoir pris la tête de l’OP Les Pêcheurs de Bretagne ?

 

C’est une fonction passionnante qui nous place au cœur des grands enjeux de notre métier. C’est aussi un honneur qui exige beaucoup d’engagement. Ce qui n’est pas incompatible avec mon travail en mer. Tout en restant en phase avec les réalités du terrain, je dispose d’une super équipe de permanents avec lesquels je peux échanger facilement grâce aux nouvelles technologies par satellite. Il faut être lucide : la profession est dans le creux de la vague. C’est justement pourquoi il ne faut pas se désunir ou baisser les bras. On a du boulot. Après avoir prouvé par nos efforts que la gestion de la ressource peut aller en s’améliorant, on doit reprendre la main dans le débat public et convaincre de l’importance de sauvegarder nos métiers.

 

Comment vois-tu évoluer la pêche professionnelle ?

 

Bien que nous ayons fait des progrès considérables dans nos outils et méthodes de travail, nous subissons une pression grandissante de toutes parts. Explosion du coût des matières premières, transformation du marché et des attentes du consommateur… Malgré notre engagement à mieux pêcher, à respecter davantage la ressource et l’environnement marin, on ne perçoit pas cette valeur ajoutée que nous apportons. Des résultats scientifiques le prouvent : nous fournissons des produits sauvages de qualité dans le cadre d’un plan de gestion durable et responsable. Cette image caricaturale de prédateurs qu’on nous renvoie trop souvent ne reflète en rien la réalité de notre quotidien.

 

Peut-on encore bien la défendre ?

 

On dispose de solides structures professionnelles capables de porter une voix crédible et forte dans les plus hautes instances. Pas besoin de réorganiser à tout prix et de se diluer dans des grands ensembles démesurés. Notre OP rassemble 625 navires et 2 000 marins, pour une production annuelle d’environ 85 000 tonnes. C’est déjà considérable. Il faut aussi garder une proximité avec nos adhérents et le terrain.

Comme il faut préserver des liens avec nos partenaires scientifiques, à commencer par l’Ifremer. On peut faire en revanche le constat que l’Etat français assume de moins en moins ses fonctions régaliennes. Il faudrait s’inspirer du modèle espagnol qui fait de la pêche une vraie cause nationale. Nous devons aussi nous reconnecter par tous les moyens aux autorités décisionnelles, à commencer par Bruxelles. Nous ne sommes pas des faiseurs de malheur, nous savons donner des gages de confiance. C’est pourquoi notre combat est légitime et qu’on peut le gagner.

 

Quel est le défi prioritaire pour l’OP ?

 

Ce n’est pas un secret. La communication n’a jamais été une grande spécialité des pêcheurs. C’est pourtant sur ce terrain qu’il nous faut encore progresser. Nous devons montrer par tous les moyens possibles comment nous restons des alliés précieux dans la défense de la souveraineté alimentaire mais aussi dans la préservation de l’environnement. Mettre en valeur les produits pêchés localement, l’expertise de nos métiers et les retombées socio-économiques de nos activités, c’est indispensable pour faire comprendre au grand public que nous jouons dans la même équipe. Notre profession se trouve un peu dans la situation de l’énergie nucléaire, qui a longtemps été décriée, mais dont on commence à se rendre compte qu’elle est indispensable pour assurer la transition vers une production électrique décarbonée.

 

Une ambition ultime pour la pêche ?

 

J’ai des enfants de 6 et 7 ans. J’aimerais bien qu’ils se voient un avenir dans la pêche, qu’ils reprennent une activité viable. On a besoin d’une meilleure visibilité pour notre métier qui dépend déjà très fortement des fluctuations de la nature. Il faut admettre que nos modèles sont friables à cause d’entraves excessives… Aussi avant de décarboner nos flottilles, il faudrait d’abord s’assurer que nos sociétés préfèrent encore du bon poisson capturé localement à des produits importés et le plus souvent intraçables.

 

Propos recueillis par Bertrand Tardiveau