Y aura-t-il toujours des poissons dans les océans dans trente ans?

Date de publication : 25 octobre 2018

Ray Hilborn est Professeur à l’Ecole des Sciences Aquatiques et Halieutiques à Seattle et travaille depuis quarante ans dans le domaine de la gestion des pêches. Au cours des dix dernières années, il a participé à différents groupes de travail sur la situation des stocks halieutiques dans le monde. Il contribue également, avec l’Université de Washington, à entretenir la base de données « RAM Legacy Stock Assessment » qui contient les données internationales de captures et d’abondance de 1 200 stocks halieutiques, ce qui représente un peu plus de la moitié de la pêche mondiale.
Il a accepté de répondre à nos questions sur l’état des ressources halieutiques.

 

Au cours des dernières années, plusieurs articles prédisant qu’il n’y aurait plus de poisson dans les océans d’ici 2048 ont été publiés. Sur quels éléments se base cette affirmation ?

Cette prédiction est issue d’une analyse simpliste des tendances de captures et l’auteur principal de l’article de référence*, Boris Worm, a admis que ces projections étaient incorrectes et il a même proposé d’organiser un banquet de fruits de mer le 31 décembre 2047…

Quelle est votre opinion sur le sujet et selon vous, comment se porteront les stocks en 2048 ?

L’étude que Boris Worm et moi-même avons codirigée** a montré qu’en moyenne, lorsque les stocks sont gérés (environ 50% des stocks mondiaux), leur abondance ne diminue pas. Une nouvelle étude, en cours d’examen, montre même qu’en réalité l’abondance des stocks augmente en moyenne dans la plupart des pays développés.

Nous pouvons donc estimer pour 2048 que l’abondance des stocks sera identique ou supérieure à son niveau actuel dans les endroits où les pêcheries sont gérées rigoureusement (la plupart des pays développés). Dans les parties du monde où il n’existe pas de gestion significative de la pêche, nous nous attendons à ce que les stocks soient dans l’ensemble surexploités.

Comment décririez-vous l’état actuel des stocks halieutiques à travers le monde de manière générale et dans l’Atlantique Nord-Est en particulier ?

Lorsque le niveau des stocks est surveillé et la pression de pêche ajustée en fonction des tendances des biomasses (c’est-à-dire pour environ la moitié des captures mondiales), les stocks se portent bien et leur abondance augmente en moyenne. Une petite fraction d’entre eux, peut-être 20%, restent bien en-dessous des niveaux cibles mais nous ne perdons peut-être que 10% du rendement potentiel de ces stocks du fait de leur surpêche. L’Atlantique Nord-Est est une de ces régions dans laquelle les stocks, en moyenne, sont en augmentation.

Dans l’autre moitié du monde, là où les stocks ne sont pas évalués et où la pression de pêche n’est pas adaptée, la surpêche est courante mais il est difficile d’estimer le rendement potentiel perdu. Bon nombre de ces pays comme la Chine, la Thaïlande et l’Indonésie commencent à prendre des mesures pour réduire la pression de pêche, de sorte qu’il y a de bonnes chances que les stocks y amorcent leur reconstitution.

Pensez-vous que la Politique Commune de la Pêche (PCP) est efficace pour protéger les stocks ?

La PCP a permis de réduire la pression de pêche et de reconstituer les stocks de poissons dans l’Atlantique Nord-Est et la Baltique. Ce n’est pas le cas du tout en Méditerranée où elle ne semble pas avoir été très efficace jusqu’à présent.

En quelques mots, pourriez-vous nous expliquer What Everyone Needs to Know about overfishing*** ?

La surpêche signifie prélever plus que le rendement maximum que pourrait produire le stock à long terme (NDLR= RMD : Rendement Maximum Durable). Ce n’est pas la même chose que l’extinction ou l’effondrement des stocks. Beaucoup de stocks ont été surexploités durablement c’est-à-dire qu’ils ont été pêchés trop intensément pour en tirer le rendement maximum mais cela peut rester ainsi durablement pendant des générations, et en théorie indéfiniment.

* Revue Science du 3 novembre 2006 – Impacts of Biodiversity Loss on Ocean Ecosystem Services – Boris Worm, Edward B. Barbier, Nicola Beaumont, J. Emmett Duffy, Carl Folke, Benjamin S. Halpern, Jeremy B. C. Jackson, Heike K. Lotze, Fiorenza Micheli, Stephen R. Palumbi, Enric Sala, Kimberley A. Selkoe, John J. Stachowicz, Reg Watson. 

** Revue Science du 31 juillet 2009 – Rebuilding global fisheries – Worm B, Hilborn R, Baum JK, Branch TA, Collie JS, Costello C, Fogarty MJ, Fulton EA, Hutchings JA, Jennings S, Jensen OP, Lotze HK, Mace PM, McClanahan TR, Minto C, Palumbi SR, Parma AM, Ricard D, Rosenberg AA, Watson R, Zeller D.

*** Ce que tout le monde doit savoir sur la surpêche, titre d’un livre publié en 2012 par Ray Hilborn.