Evoqué à plusieurs reprises dans nos lettres d’information, le projet d’amélioration de la sélectivité en mer Celtique porté par Les Pêcheurs de Bretagne depuis 2013 s’est achevé fin 2016. Alors que l’obligation de débarquement s’étend progressivement à l’ensemble des espèces sous quotas, quelles sont les avancées en termes de réduction des rejets ?
Comment s’est déroulé le programme?
Après avoir choisi de manière concertée entre professionnels, scientifiques et équipementiers les dispositifs sélectifs à expérimenter, des tests sont effectués à bord de chalutiers hauturiers (16 à 35 m) volontaires au cours de plusieurs marées commerciales. Ces navires travaillant simultanément avec deux chaluts identiques dits « jumeaux », les dispositifs sont installés seulement sur l’un d’eux (chalut sélectif) l’autre chalut conservant alors sa configuration habituelle pour servir de chalut témoin. Cette configuration permet de réaliser des comparaisons directes de captures pour évaluer l’efficacité des dispositifs en termes de réduction des rejets mais également de mesurer les pertes commerciales éventuellement engendrées. Sur la base d’un protocole de l’Ifremer, les données sont recueillies par des observateurs embarqués ou par les professionnels eux-mêmes.
Les principaux résultats :
Le T90 « bluffant »
Le premier dispositif testé dans le cadre du programme est le maillage dit en « T90 » en 100 mm dans l’ensemble de la partie terminale du chalut (rallonge et cul). Les mailles traditionnelles, losanges, sont disposées perpendiculairement au sens du chalut, ce qui permet par les forces mécaniques de traction de maintenir une ouverture optimale.
Ce dispositif est testé par quatre bateaux dans différents parages de la mer Celtique et au cours des différentes saisons. L’utilisation du chalut avec maillage en T90 entraîne une nette réduction des rejets : de 30 à 50 % de volumes de rejets en moins. En particulier, ce dispositif permet de réduire sensiblement les captures accidentelles de certaines espèces limitantes pour l’activité de ces navires (réduction de 70 à 85% des rejets de sanglier, chinchard et maquereau).
L’intérêt de ce dispositif est également démontré pour réduire les captures de juvéniles de merlan et d’églefin. Des pertes de ces espèces commerciales ou encore d’encornets, de crustacés, de rouget barbet ou de sole peuvent exister mais à un niveau qui ne semble pas altérer la perception très positive qu’ont les marins pêcheurs du T90. Plusieurs d’entre eux continuent d’ailleurs de l’utiliser et ont convaincu d’autres de l’adopter (voir témoignage ci-dessous).
Outre son efficacité démontrée sur la réduction des rejets, ce dispositif simple à mettre en œuvre permet également de diminuer le temps de tri à bord et d’améliorer la qualité des poissons valorisés.
Yves ROUX, patron retraité du Laperouse a testé le T90 :
« J’ai été bluffé. La réduction des rejets est flagrante. Certes, on a des pertes sur les poissons plats, la langoustine ou encore le rouget barbet mais ce ne sont pas nos espèces cibles. C’est tellement intéressant que mon remplaçant continue d’utiliser le T90 et en a équipé le deuxième chalut jumeau. J’ai aussi conseillé au patron du Bougainville qui n’avait pas participé au programme de s’en équiper ce qu’il fait selon la zone de pêche où il travaille. »
Le cylindre de mailles carrées encourageant
Le deuxième dispositif testé est un cylindre de mailles carrées (CMC) en 100 mm. Les mailles carrées présentent l’intérêt de s’ouvrir d’avantage que les mailles en losange. Un panneau de mailles carrées placé sur le haut du chalut est déjà obligatoire de- puis 2012 en mer Celtique, mais l’utilisation d’un cylindre permet d’accroitre la surface d’échappement.
Les résultats obtenus avec ce dispositif sont moins marqués que pour le T90 mais les rejets ont tout de même diminué de 30% en moyenne pour l’ensemble des espèces. Il semble notamment y avoir un effet sur l’échappement des juvéniles d’églefin et de merlan avec une réduction des rejets de l’ordre de 40 à 50% sans perte commerciale associée. Les rejets de tacaud, grondins ou encore petite roussette ont eux aussi diminué.
Ces résultats encourageants mériteraient d’être confirmés par des études complémentaires qui pourraient également permettre d’optimiser l’emplacement du cylindre dans le chalut (antérieur ou postérieur au PMC, monté avec ou sans boule dispersive). Il serait également intéressant de tester le cylindre dans des périodes et des zones où les bateaux ciblent spécifiquement l’encornet. En effet, les analyses vidéos tendent à montrer que les encornets ont une activité de nage dans le chalut et qu’ils ne chercheraient pas à s’échapper pas les mailles du cylindre, limitant ainsi les pertes de cette espèce très bien valorisée. Celui-ci pourrait alors être une alternative à l’utilisation d’un chalut en T90 (qui engendre des pertes commerciales d’encornet) aux saisons où cette espèce représente une part importante du chiffre d’affaires des navires.
Des grilles à lotte efficaces et faciles d’utilisation
Le dernier dispositif testé est une grille à lotte, en réalité l’actualisation d’un dispositif déjà testé au début des années 90. Si les résultats en termes d’amélioration de la sélectivité étaient encourageants, les matériaux (aluminium) étaient peu adaptés aux contraintes mécaniques imposées par les activités de pêche. Les marins pêcheurs l’avaient donc rapidement laissée à quai. L’objectif du programme CELSELEC était donc d’améliorer l’ergonomie de la grille pour accroître son acceptabilité auprès des professionnels tout en maintenant son efficacité en matière de sélectivité. Dans ce but, différentes versions de ce dispositif ont été testées à bord de 3 navires.
La plus concluante est une grille rectangulaire souple faite en cordage renforcé par des tubes en caoutchouc et dont l’espacement des barreaux peut facilement être calibré pour trouver un équilibre entre sélectivité et rentabilité économique. Cette grille a également l’avantage d’avoir un coût réduit. Elle permet une diminution de l’ordre de 20% des rejets sans perte commerciale significative. Une baisse des rejets de poissons plats (cardines) est notamment constatée mais aussi de grondins et petites roussettes. Concernant les baudroies des échappements sont observés pour les petites tailles (entre 10 et 20 cm) mais cela ne permet pas de faire apparaître une différence significative des rejets en poids.
Frédéric LARHANT, patron du Men Brial, a testé la grille souple :
« Je suis très satisfait de la grille testée et j’envisage d’en ajouter une autre sur mon deuxième chalut en modifiant l’espacement des barreaux pour essayer de l’optimiser. La baisse des rejets est flagrante dans les zones où il y a beaucoup de petites lottes sans pertes commerciales pour autant. J’ai aussi pu constater une nette amélioration de la qualité du poisson grâce à une meilleure filtration. »
Et maintenant?
Les résultats sont encourageants et donnent des pistes aux pêcheurs pour faire face à l’obligation de débarquement même si les évolutions technologiques pour accroitre la sélectivité ne permettront pas de supprimer totalement les rejets d’espèces sous-quotas.
Les analyses détaillées de chaque dispositif seront prochainement mises à disposition des professionnels sous forme de fiches de synthèse. Elles alimenteront les réflexions individuelles des pêcheurs qui pourront s’approprier le ou les dispositifs les mieux adaptés à leur activité (zones de pêche, espèces cibles, saison) ainsi que les travaux en cours sur les modifications de la réglementation communautaire.