Alain Biseau, chargé de mission à Ifremer, coordinateur des expertises halieutiques, (Département Ressources Biologiques et Environnement) et membre du comité d’avis du CIEM
Pouvez-vous nous rappeler ce qu’est le Rendement maximal durable (RMD) et comment il est appliqué ?
Le RMD, selon la FAO (Food and Agriculture Organisation ou Organisation des Nations-Unies pour l’alimentation et l’agriculture), est « la plus grande quantité de biomasse que l’on peut en moyenne extraire continûment d’un stock, dans les conditions environnementales existantes (ou moyennes), sans affecter sensiblement le processus de reproduction. »
Les mots sont importants. Il s’agit de quantité, de captures et non pas vraiment de rendement. Et puis, surtout, il s’agit d’une moyenne, ce qui veut dire que selon les années on est en-dessous ou au-dessus. En n,
cette quantité dépend des conditions environnementales. Cela signifie que si les conditions environnementales changent (les conditions hydrologiques, la disponibilité en nourriture, les relations entre les espèces), l’objectif change. Il faut rappeler deux choses. D’abord ce n’est pas un concept nouveau, il apparaît notamment dans des textes de loi américains dès la n de la Deuxième Guerre mondiale. En n, cet objectif n’est pas un diktat des scientifiques mais bien un engagement, politique, international pris lors du sommet pour le développement durable de Johannesburg en 2002.
Au niveau biologique, cette décision était-elle vitale ? A-t-elle été prise à temps ?
Au niveau biologique il est impératif de maintenir les stocks à des niveaux qui permettent leur renouvellement. C’était l’objectif de la PCP de 2002 avec l’application de l’approche de précaution proprement dite. L’objectif de la nouvelle PCP va au-delà en visant la maximisation des captures/débarquements sur le long terme, à savoir le RMD.
En clair, d’un strict point de vue biologique, éviter les catastrophes était/est une nécessité ; tirer le meilleur parti d’une ressource (maximiser le capital pour en tirer les intérêts les plus élevés), c’est plutôt un objectif économique tout en satisfaisant cette exigence.
La société confond souvent surexploitation d’un stock et risque d’extinction de l’espèce. Si l’extinction d’une espèce marine due à la pêche est extrêmement rare (la pêche s’arrêtant avant de capturer les derniers poissons par défaut de rentabilité), la surexploitation est un risque qu’il convient d’éviter.
Ce terme est en lui-même porteur de confusion car il a longtemps été utilisé pour désigner une exploitation qui pouvait conduire à une catastrophe (l’effondrement du stock, la réduction des capacités reproductives) alors qu’il est aujourd’hui employé pour désigner un niveau d’exploitation supérieur à celui qui conduit au RMD. Dans ce dernier cas, il s’agit davantage d’une mésexploitation économique. Bien évidemment plus un stock est gros et plus il y a de reproducteurs, plus les risques d’effondrement sont faibles. Toutes choses étant égales par ailleurs (environnement, pollutions, prédateurs…), pour avoir un stock le plus gros possible, il n’y a qu’un moyen : arrêter la pêche… ce qui serait en contradiction avec la définition même du développement durable qui, rappelons-le, s’appuie sur trois piliers : environne- mental, social et économique.
La pêche a pour vocation première d’apporter de la nourriture à l’humanité, il ne faut pas l’oublier. En bref, le RMD est un bon compromis entre conservation et exploitation.
Il faut garder en tête que la notion de durabilité va un peu au-delà du seul RMD ; en effet, la durabilité ne vise pas seulement le stock considéré mais également l’ensemble de l’écosystème (les espèces associées, les habitats). C’est un des objectifs de la Directive cadre stratégie pour le milieu marin (DCSMM) qui vise le bon état écologique des mers. Mais c’est un autre sujet.
Dans le RMD, que se passe-t-il concrètement pour un stock donné ?
La question de la traduction pratique de la notion de RMD a fait l’objet de longues discussions (sans parler des délais pour l’atteindre !). « Etre au RMD » au sens de la PCP (article 2) c’est ajuster la mortalité par pêche à celle permettant d’atteindre à terme le RMD, avec l’atteinte, à terme, de niveaux de biomasse et de captures correspondant à cette pression de pêche.
Les recommandations du CIEM (mais également des autres organisations régionales des pêches) en termes de possibilités de captures (TAC) se basent sur une mortalité par pêche égale à celle conduisant au RMD. Pour certains stocks qui étaient surexploités, cet ajustement nécessite / a nécessité une réduction de la pression de pêche. Pour d’autres, sous-exploités, pêcher au RMD, est compatible avec une augmentation de la pression de pêche.
A noter que l’ajustement de la pression de pêche (la mortalité par pêche) ne se traduit pas nécessairement par une évolution similaire des possibilités de captures. La mortalité par pêche étant grosso modo le rapport entre les captures et la biomasse disponible, une augmentation des captures peut être compatible avec une réduction de la mortalité par pêche si les captures augmentent moins vite que la biomasse. A l’inverse, dans le cas où la biomasse diminue, la réduction des captures doit être plus forte que celle nécessaire pour atteindre la mortalité cible.
Peut-on déjà faire un point d’étape sur son efficacité ?
C’est une question difficile. D’une part parce que nous entrons dans un monde quasi inconnu (ou oublié) d’une exploitation modérée, de stocks en bonne santé. Et puis, surtout, cette bonne santé des stocks n’est pas instantanée ; il faut pêcher plusieurs années en visant le RMD pour que le stock trouve son équilibre et permette, en moyenne, des captures maximales. En n, dans la réalité, ce que l’on observe de l’état des stocks, c’est le résultat, non seulement de l’effet de la pression de pêche, mais aussi de facteurs environnementaux qui sont variables, cette variabilité ne permettant pas d’assurer que l’état du stock est uniquement la conséquence du seul niveau de la mortalité par pêche.
Le bilan que l’on peut faire est que le nombre de stocks au RMD augmentent fortement dans les eaux de l’Atlantique nord-est. La Commission européenne estime que dans les eaux communautaires, les stocks au RMD représentent entre 50 et 60% des stocks évalués ces dernières années.
En volume, les pêches françaises dans l’Atlantique nord- est sont composées à 39% de poissons provenant
de stocks au RMD contre 16% surexploités. Les 45% restant étant constitués de stocks non évalués ou pour lesquels la classification n’est pas possible.
Quelles conséquences aura l’application du RMD sur l’état des stocks ? dans quel délai ?
L’objectif d’une mortalité par pêche modérée est d’accroître la taille du stock, et donc des captures, mais également la proportion de poissons âgés (et gros) à la fois dans le stock et dans les captures. Si l’ajustement de la pression de pêche (l’effort de pêche) permet d’augmenter la taille du stock et à terme des captures, l’amélioration de la sélectivité (au sens large) permet souvent d’obtenir des résultats beaucoup plus importants. Aussi, comme en cas de changement des conditions environnementales, tout changement de sélectivité doit s’accompagner d’une révision des points de référence RMD. Il n’y a donc pas un seul et unique RMD gravé dans le marbre, mais un RMD pour chaque condition environnementale et chaque sélectivité. Le délai dépend de la biologie de chaque espèce/stock. Plus l’espèce a une longévité importante et plus le nouvel équilibre mettra du temps à s’installer.
Les stocks vont donc augmenter mais pas les quotas, pourquoi ?
Pêcher sur des stocks au RMD se traduit en général par une augmentation modérée (mais durable) des captures (le plus souvent moindre qu’une amélioration de la sélectivité).
Dans une situation où rien ne change, où les conditions environnementales sont constantes, où les relations entre les espèces sont stables, les stocks en équilibre peuvent/pourront supporter des captures constantes d’une année sur l’autre.
Dans la réalité, des stocks au RMD, parce qu’ils sont plus gros, qu’ils sont composés de nombreuses classes d’âge, supportent mieux les fluctuations naturelles du recrutement, ce qui permet une relative stabilité des captures (et donc des quotas).
Il faut donc combattre l’idée que pêcher au RMD, c’est forcément des quotas plus faibles. Certes, pour les stocks qui n’y sont pas, réduire la pression de pêche passe parfois par une diminution des quotas, mais ce n’est pas systématique.
Quelle incidence sur les prix du poisson ?
Si les prix des individus les plus gros sont les plus élevés, alors les prix moyens devraient augmenter puisqu’il y aura plus de gros poissons dans les captures. Pour autant, l’impact d’une (très) forte augmentation des captures est souvent négatif sur le prix moyen (comme ce fut le cas récemment pour le merlu).
S’il y a plus de poissons, les pêcheurs pêcheront plus vite…
C’est là, à mon sens la plus grande difficulté. Certes arriver au RMD nécessite des efforts, mais y rester demandera une stricte discipline, et donc des contraintes fortes. En effet, s’il y a plus de poissons, les pêcheurs pêcheront plus vite, et comme il ne faudra pas trop pêcher, il faudra pêcher moins longtemps et/ou avec moins d’engins.
En conclusion, plus qu’une augmentation (modérée) des captures et leur stabilité, c’est la (forte) augmentation des rendements qui permet de pêcher autant avec moins d’effort et donc des coûts moindres qui est, pour le pêcheur, le principal intérêt/avantage du RMD.