Interview exclusive : Philippe Bothorel

Date de publication : 3 janvier 2017

Pour le directeur du lycée maritime du Guilvinec, Philippe Bothorel, la pêche est toujours un secteur qui attire pas mal de jeunes mais aussi des personnes en reconversion professionnelle…

On parle régulièrement des crises des vocations dans la filière pêche. Est-ce pour vous une réalité quotidienne ?

Cette proposition doit être élargie à d’autres territoires, vu la localisation de notre lycée, nous travaillons principalement sur un cœur de métier : celui de marin-pêcheur. De ce fait, en tout cas pour ce qui nous concerne, nous ne constatons pas une si grande crise des vocations. Nous considérons aujourd’hui que la crise semble « stabilisée » mais il ne faut surtout pas crier victoire car la pyramide des âges des pêcheurs en activité montre qu’il faut recruter des jeunes. Il faut rester optimiste pour deux raisons :

  • le secteur des pêches a considérablement réduit son effort de pêche (moins de navire donc moins de marins) ainsi un équilibre s’est créé entre la ressource vivante disponible et le taux de captures.
  • le lycée a développé son offre de formation. En effet, à chaque fois qu’un « prospect » (enfant/parent et/ ou adulte en quête de formation ou de reconversion) entre dans notre établissement, quel que soit son âge et son profil, nous avons pour objectif principal de lui proposer une offre de formation. Notre devise pourrait être : « Au Guilvinec, des formations de 15 à 55 ans ».

 

Au-delà de ce clin d’œil humoristique, il me semble très important de développer la formation par alternance car nous souhaitons répondre à la vocation de tous. En apprentissage, le baccalauréat professionnel en deux ans correspond notamment à une attente très forte pour la formation de patron de pêche.

Le certificat de matelot en six mois permet de recruter très vite, avec des aides, et une formation de sept semaines au lycée.

Les chiffres parlent d’eux-mêmes : en 2016-2017, les armateurs du secteur portent, avec le lycée, 30 emplois (20 apprentis et 10 contrats de professionnalisation) ! Mais ce résultat est loin d’être le fruit du hasard. Ce sont les bénéfices d’un long (et ancien) travail de fond mené avec les armements et les patrons de pêche. Aujourd’hui, nous constatons une très belle dynamique car tous les acteurs de la filière se sont emparés de la question de la formation.

Je tiens d’ailleurs à saluer tous ces anciens pêcheurs, ceux qui donnent des cours ou ceux qui font du lien entre le lycée (administration, professeurs et étudiants) et les quais du port du Guilvinec (l’ensemble de la filière pêche). Tant que nous arriverons à faire vivre la culture des métiers de la pêche et que nous parviendrons à la transmettre de manière intergénérationnelle, il me semble que nous répondrons de manière appropriée aux différentes demandes. D’ailleurs, si cette manière de travailler séduit des professionnels, nous sommes prêts à leur donner l’occasion de partager leur expérience avec nos étudiants.
Après tout, quoi de mieux que l’expérience du terrain ? A cet effet, nous avons notamment créé une association principalement constituée d’anciens pêcheurs pour donner des cours de soutien de matelotage ou de ramendage.

 

« Le certificat de matelot en six mois
permet de recruter très vite, avec des aides,
et une formation de sept semaines au lycée. »

 

Certaines spécialités sont-elles toujours attractives ? Lesquelles ?

Pour nous, la pêche est toujours un secteur qui attire pas mal de jeunes mais aussi des personnes en reconversion professionnelle. Même si l’attractivité de ce type de métier semble suffisante aujourd’hui, sera-ce encore le cas demain ? Nous
ne savons pas si les efforts que nous faisons actuellement suffiront… En mécanique, la situation n’est pas tout à fait la même car nous avons plus de mal à recruter des jeunes en formation initiale pourtant les offres sont nombreuses pour les jeunes collégiens. Heureusement qu’il y a les cours de formation pour adultes pour répondre aux besoins essentiels des professionnels.
Cette situation s’explique certainement par une connaissance insuffisante des métiers de marin. En 2011, une étude de la Région Bretagne faite auprès de collégiens de 4ème et de lycéens de 1ère avait montré que les métiers de la mer évoquaient le nautisme, les loisirs mais que ceux liés à la pêche et à la conchyliculture étaient méconnus. En outre, ces métiers sont, à leurs yeux, dangereux ! Nous sommes donc principalement victimes d’un déficit d’image. C’est la raison pour laquelle nous avons fait un effort très significatif en matière de communication. En plus de notre présence sur les réseaux sociaux et dans la presse, nous organisons au printemps une conférence intitulée « Les méninges » pendant laquelle nos élèves témoignent de leur expérience aux côtés de conférenciers plus aguerris.

Les participants à ces rencontres verront que nos élèves sont non seulement ravis de leur orientation, mais qu’ils sont heureux d’évoluer dans ce milieu. Ils ne sont pas là par défaut : ils veulent leur propre bateau ! Pour preuve, nous avons un taux de décrochage presque insignifiant…

 

Nous avons pour objectif

de toujours pouvoir proposer une offre de formation.
Notre devise pourrait être :

« Au Guilvinec, des formations de 15 à 55 ans »

 

Justement, à la sortie du lycée, quel est le taux de recrutement ?

Nous atteignons globalement 90% de taux de placement. C’est un très bon résultat d’autant plus que ces statistiques sont réalisées cinq ans après la sortie du lycée. C’est parfait mais j’ai envie de dire que le lycée maritime du Guilvinec n’a pas le droit
de faire moins bien. Nous sommes quand même au cœur de la pêche bigoudène (environ 1 000 marins). Mais cela prouve tout de même que nous parvenons à répondre aux besoins de la filière.

Les formations dispensées dans votre établissement ont-elles connu beaucoup de changements pour répondre aux évolutions technologiques et réglementaires des métiers de la mer ?

Oui. Parmi les évolutions majeures de ces dernières années, je dois citer les formations sur simulateurs. Elles sont très près de la réalité du terrain, c’est vraiment formidable. Ces appareils parviennent même à bluffer des professionnels expérimentés. Pour l’anecdote, je me souviens que lors de la première visite des installations, l’un des invités (un pêcheur en activité) s’est arrêté devant un simulateur car il avait reconnu le trait de côte ! Après vérification auprès du professeur, c’était bien le paysage qu’il avait vu réellement quelques années auparavant. Les étudiants en mécanique ont eux aussi bénéficié des récentes avancées technologiques avec le simulateur de machines marines. Une manière extrêmement pédagogique de montrer aux élèves tous les circuits d’un chalutier de 3 000 KW : propulsion, électricité, bouilleur, circuits gas-oil, frigo…
Dans le domaine des communications, les enseignements ont eux aussi connu un phénomène de « mondialisation » : nos élèves apprennent l’utilisation de tous les appareils de communication. Et tout ça en anglais ! Nous dispensons également beaucoup de formations liées à la sécurité (normes mondiales STCW) et au recyclage des professionnels (notamment dans le médical, le réglementaire et les télécommunications).

Que diriez-vous aux parents pour les convaincre de choisir ces formations maritimes pour leurs enfants ?

Il faut déjà qu’ils soient à l’écoute de leurs enfants et qu’ils adoptent une attitude positive vis-à-vis de ce premier vœu. L’enfant a besoin de se sentir encouragé. Le rôle des parents n’est donc pas de dissuader leur enfant d’exercer tel ou tel métier mais de l’informer le plus objectivement possible. Bien sûr les métiers de la mer peuvent être exigeants (comme tant d’autres !!) mais les métiers de la pêche ont des atouts indéniables : rentabilité des navires, bonne rémunération, augmentation de la sécurité à bord, baisse des impacts sur l’environnement (pêche soutenable)… Ce secteur connaît actuellement une embellie dont il serait dommage de ne pas profiter !

 

Votre établissement à répondu en novembre dernier à l’appel à candidature pour une formation BTS maritime « Pêche et gestion de l’environnement marin ». Pouvez-vous nous en dire plus ?

Le 19 octobre dernier, le secrétaire d’État aux Transports, à la Mer et à la Pêche, Alain Vidalies, a publié un appel à candidature auprès des lycées professionnels maritimes pour la création d’une nouvelle section du BTS maritime en pêche et gestion de l’environnement marin avec pour objectif de « répondre aux défis actuels et à venir en matière de gestion des ressources de l’océan et de l’environnement marin ». Cette formation existe déjà à Boulogne-sur-Mer et à Sète et le gouvernement a souhaité qu’un troisième établissement la propose. Nous nous sommes donc naturellement porté candidat comme en 2013 ! Parmi les principaux arguments que nous avons mis en avant, notre expérience compte pour beaucoup. Dès 2009, l’administration du lycée et nos équipes pédagogiques s’étaient effectivement déjà impliquées dans la création de ce BTS maritime. Malheureusement, nous n’avions pas été retenus en 2013.
En 2016, nous nous sommes donc à nouveau porté candidat car nous considérons que nous sommes parmi les mieux placés pour dispenser cette formation : ancrage territorial incontestable, capacité d’accueil adaptée, partenariat avec Agrocampus sur
les compétences biologie, écologie, gestion de la ressource engagée, corps enseignant parfaitement dimensionné. Sans préjuger de la future décision ministérielle, nous considérons tout de même qu’en tant qu’acteur à part entière de la filière, il nous appartient d’accompagner la montée en compétences du monde de la pêche. Pour rappel, avant 2007 en formation initiale, nous formions les pêcheurs au niveau V (CAP et BEP), depuis 2007 au niveau IV (BAC). En 2017 il est important de les former au niveau III (BTS) correspondant bien à l’activité d’un patron artisan gérant son entreprise de pêche et son (ou ses) navire (s), ou d’un capitaine de pêche au large ou de grande pêche. L’objectif est de former des marins qui, reconnus par leurs pairs, par les armateurs eux mêmes, pourront avec cette solide formation initiale devenir capitaine. Je tiens aussi à remercier Les Pêcheur de Bretagne qui accompagne le lycée depuis 2013 pour l’accueil de cette classe de BTS.